J’ai fêté mon anniversaire il y a presque un mois. Le temps passe. Je me balade sur les quais Métayers, promenade emblématique des niortais, en bord de Sèvre, menant au Marais Poitevin.
Mes pas sont réglés sur les pulsations de mon cœur, en méditation transcendantale. Mais je fais fausse route, je n’ai aucune envie de m'abstraire des réalités sensorielles. Je veux au contraire être en osmose avec mon environnement. Je hume le parfum des fleurs du printemps, accroche du regard la faune indigène, les habitants de ce quartier de nature : Les vaches maraichines, de leurs grands yeux, entre deux coups de battement de leur grands cils, m’observent passer, tout en mâchant un chewing-gum Herbe Fresh. Un clin d’œil pourrait me faire chavirer. Le lapin traverse prestement le chemin pour se tapir dans les fourrés. A l’approche des fêtes de Pâques, Le lièvre va-t-il se faire sonner les cloches, s’il rentre avec du retard ? Le couple de canards, coiffé de plumes sur la tête, remonte le courant, suivi à la trace par une dizaine de canetons en file indienne. Ils me font penser à ces cours de voile, où les moniteurs précèdent une ribambelle d’optimists, ces petites embarcations écoles pour enfants. Le héron cendré est perché sur ses deux cannes, pas celles du colvert, mais ses bâtons d’aide à la marche qui deviennent secondaires lorsqu’il entreprend un décollage majestueux en déployant ses grandes ailes. Le tracé rectiligne du fleuve côtier, à cet endroit là, lui offre une piste idéale d’aéroport nautique. A mon passage, les petites poules d’eau craintives se cachent au bord de la rivière, derrière un grillage végétal, entre les racines des frênes têtards qui longent les berges. Le museau du ragondin émerge à la surface dans son parcours entre deux rives. Il me rappelle les histoires du Père Castor que je racontais à mes enfants. Les joggeurs connectés, dans leur tenue synthétique moulante et colorée, me doublent, en expirant bruyamment dans une rythmique musicale. Des piétons me croisent en couple ou en groupe, en contemplation ou en conversation. Les cyclistes me sonnent parfois pour m’avertir de leur passage. Les pécheurs sont installés sur la berge, immobiles et très bien équipés, assis sur leur tabouret de plage, les yeux rivés sur le bouchon qui flotte entre deux eaux, au bout de la ligne. Ils pourraient l’écrire avec une certaine poésie, taquinant le goujon, faisant dandiner l’appât. Dans ce monde en mouvement, ils détonnent. On admire leur patience, leur sens du camouflage, leur maîtrise de la science halieutique et du vocabulaire associé. On imagine que leur posture doit les rendre sensible à l’hypothermie. On tente parfois de leur apporter un peu de chaleur, de convivialité, de les occuper quelque peu. On les approche pour observer le contenu de leur panier et évaluer si la pêche a été bonne ? On leur dit : « Alors, ça mord ? ». Les jours de chance, ils sont contents de nous faire admirer leurs prises. Ils sont bien sympathiques !
Oui, vous aussi ! Vous êtes d’accord !
Alors, imaginez l’employé de l’abattoir qui va s’employer sur une des vaches maraichine ! Sympathique ?
Le chasseur, à l’affut, prêt à dégainer son fusil et à faire feu sur le lapin, le couple de canards, le héron cendré, les poules d’eau ou même le ragondin ! Sympathique ?
Avoir comme loisir le plaisir de tuer, vous met mal à l’aise ? Alors pourquoi cette différence de traitement ? Pourquoi admirer ces cadavres écaillés dans le panier grillagé du pêcheur, alors que vous pleureriez le destin funeste d’une autre espèce ?
La faune aquatique a-t-elle moins de valeur à vos yeux ? Elle est moins visible et développe moins d’interactions, vous ressemble moins… ? Savez-vous que la vie vient de l’eau, de la mer ? A l’origine, après certaines évolutions, des poissons ont peu à peu développé des poumons et des pattes pour conquérir la terre ferme.
Regardez ces pêcheurs utiliser la ruse, par des leurres, des appâts. Ils attirent leurs proies, les guettent avec un tel sang froid reptilien, pour finalement se jeter sur elles, les extraire à leur environnement, leurs proches, pour les balancer dans un cachot saturé en air, qui leur sera fatal en quelques minutes. Ils sont grisés par ce moment, parcouru par ce frisson malsain, ce moment d’extase, de puissance sur la vie ! Ils sont fiers d’eux, admirant les cadavres, vérifiant la brillance de l’œil, la qualité de l’épiderme écaillée, mesurant leur taille. Avec un tel orgueil de serial killer qu’ils vont jusqu’à immortaliser la scène de crime, en se faisant prendre en photo avec leur victime préférée entre les bras, le sourire aux lèvres, comme une mère présenterait son enfant à la maternité. Ils comptabilisent même leurs scores à la recherche de records, se stimulent entre eux, participent à des compétitions, font partis d’associations de malfaiteurs, de sociétés criminelles. Ils nagent vraiment en eaux troubles !
Et face à cela, aucun dépôt de plainte, aucune enquête et même pire, on leur donne le permis de tuer ! Ils ont une carte officielle qui leur permet d’agir en toute impunité, sans risquer l’action des autorités !
J’ai fêté mon anniversaire il y a presque un mois. Le temps passe. Je suis du signe du Poisson :
« Comme l’Océan, l’homme Poisson est profond et insaisissable. Il semble chercher sa place dans le monde et n’est pas toujours très à l’aise en société. Mais le natif est surtout un grand romantique, un brin timide, il aimerait ne pas avoir à parler pour se faire comprendre et ne communiquer que par les actes. L’homme Poisson aime faire voyager son esprit, lire des romans d’aventure, méditer, prendre son temps. L’homme Poisson possède une intuition extraordinaire et, même s’il n’arrive pas toujours à l’analyser correctement, il se trompe rarement sur les gens. Il comprend leurs défauts, leur part sombre et est indulgent face à cela ». Parfois !
Il me faut rendre justice ! Ils ont péché, ils feront pénitence !
Cela tombe bien, demain nous serons le 1er avril ! Je vais passer ma soirée à découper des bouts de cartons en forme de carpe. Je préparerai les attaches qui vont me permettre de les piquer dans le dos des « mis en examen » pour marquer leur culpabilité ! Et ensuite « Carpe diem » !
Je vais écrire, sur la face visible de ces broches d’identification, la mention « poiSSon », avec deux « S » comme cette autre terrible organisation criminelle de l’histoire, ces escadrons de la mort, qui développaient aussi des théories raciales. La race des poissons doit être défendue, il me faut entrer en résistance !
Pour cela, j’ai une solution ! Et même deux !
En guise d’épingle, je vais utiliser des petites seringues à ma disposition dans lesquelles je vais accommoder deux petites solutions liquides qui vont se succéder : Une anesthésiante, comme le font les moustiques pour que la phase de récolte de sang ne soit pas repérée et ressentie, et laisse la tête de pont sans réaction. Et ensuite, une substance active à base de Fugu, un poisson venimeux que les Japonais adorent. Une chance que le premier liquide soit plus dense et ne se mélange pas au second. Chacun a sa place, sa fonction.
Nous sommes le 1er avril, je me lève tôt le matin, pour toucher ceux qui opèrent dès l’aube, les plus extrémistes, les plus dangereux ! Ce matin, c’est moi le chasseur ! J’agis, moi aussi, par la ruse. Je m’approche par derrière, leur demande « alors, sa mort ? », et par un petit claquement de ma main dans leur dos, leur faisant penser à une tape amicale, accroche mon œuvre picturale !
« Elle pique ? Tu râles. »
« Poison d’avril !»
Laurent Podraza
Comme disent les geeks : "je plussoie". Sur le fond, comme sur la forme !
Et il y a un petit côté "Alfred Hitchcock raconte", à la fin, qui me plaît beaucoup.