Partir !
En voyage …
Mon mari est déjà parti, avec sa secrétaire. Mes enfants se sont envolés vers leur destin d’adultes. Même ma femme de ménage a pris ses congés pour revoir ses parents dans la banlieue de Porto. Il est temps pour moi de m’occuper de mes fesses, de les aérer, de leur faire voir du pays !
Organiser son voyage, c’est déjà partir ! Consulter les catalogues, les brochures, les sites des tour-opérateurs … Envisager, comparer, choisir…. Rêver, c’est déjà voyager !
Après avoir pris des renseignements sur le climat, la météo, les activités proposées par le club de vacances, se planter devant son dressing pour picorer parmi les chemisiers, les jupes, les robes, les pantalons, les maillots de bain, les sous-vêtements, les chaussures…. Placer là les candidats présélectionnés, sur le lit, pour examiner les tenues plus globalement. Prévoir de coordonner les coupes, les styles, les couleurs…
Les plus chanceux partiront en voyage avec moi. Les autres retourneront, la mine déconfite, orner les étagères de mélaminé teinté acacia au parfum de lavande de l’antimite disséminé çà et là. J’espère ne pas trop les froisser.
Les gagnants seront sur le podium. Ils vont connaître un premier instant de gloire lorsque je vais les porter aux yeux de mon miroir, les uns après les autres, dans une cérémonie émouvante, au son d’une musique orientale qui préfigure l’ambiance des prochaines compétitions que nous allons vivre ensemble.
Ils sont prêts pour la grande échéance. Ils sont lavés de tout soupçon de dopage, que de la lessive bio. Ils sont entrainés physiquement par des séances de stretching ponctuées de plongeons dans des bains d’assouplissants naturels. Ils sont préparés mentalement par des briefings réguliers de mobilisation, de mise en confiance. Il faut savoir parler à ses troupes ! Nous formons une équipe. Il s’agit de jouer collectif ! Mais tous doivent être pliés à mes desseins, à leurs désirs… pour enfin repartir en conquête.
En voyage…
Avec mes malles de voyage.
Mes documents de transport, le voucher de l’hôtel, mon passeport, sont prêts, classés dans la pochette rose, à coté de mon portefeuille, de mes pilules, de mon petit nécessaire de survie pour coquette. On m’a conseillé de mettre tout cela en sécurité, dans un petit sac porté à la ceinture de mon pantalon. J’enfile donc la bande de cuir « Lacoste » dans les passants de mon sac. J’évite ainsi de me faire dépouiller par les bandes de pickpockets qui pourraient m’accoster en passant.
J’ai peur des vols !
Je garde ma main droite disponible, détendue, au bord de ma hanche, frôlant le long cardigan de grosses mailles mousseuses que j’étrenne. Je suis prête, à la moindre sollicitation, à écarter le gilet d’un revers de la main, pour dégainer mes cartes, de crédit, d’identité, d’embarquement….
Mes malles de voyage sont enregistrées. Peut-être déjà en soute à destination des souks ? Je passe le QR code de ma carte d’embarquement dans le lecteur, le portillon s’ouvre devant moi. Je suis déjà ailleurs, entre deux frontières. L’escalator me mène au début du chemin tortueux par lequel je traverse les boutiques « Duty free », comme un avant-goût des marchés de la médina, en plus distingué, en moins typique certainement. A l’aller, il vaut mieux résister aux sirènes des produits détaxés. Sur place, je risque de me les faire taxer !
J’attends maintenant en salle d’embarquement. Pas encore dans le cockpit, mais la cocotte monte en pression !
J’ai peur des vols !
Je pense à l’accident, à l’attentat, à la poussée du décollage, aux turbulences, aux trous d’air, aux tympans qui bourdonnent, aux sinus qui gonflent, au vertige, à la nausée, aux palpitations de panique….
En voyage…
Avec mon mal du voyage !
Je suis réveillée par les quelques applaudissements qui félicitent la dextérité du pilote pour son atterrissage tout en douceur. Mon calmant a fait son effet, je suis encore somnolente. L’avion roule vers le quai de débarquement. Ce jour sera-t-il le plus long ? Vais-je être accueillie par une pluie de regards lancés en projectiles par des canons locaux ? Pourrais-je les voir ou seront-ils cachés dans leur bunker ? Suis-je suffisamment armée pour affronter leurs yeux ?
Le roulis de l’Airbus sur le tarmac berce peut-être mes illusions perdues.
Nous nous arrêtons. Après quelques minutes, la porte s’ouvre. Je récupère ma petite valise cabine, emprunte l’allée centrale, salue le personnel de bord et me lance dans l’ouverture de la porte pour mon saut sans parachute.
Je suis emportée par le flot de passagers dans un des bras de cette pieuvre aéroportuaire jusqu’à sa tête. J’attends qu’une des bouches ne régurgite mes malles de voyages. Je les emporte, passe sous les yeux du cerveau, l’autorité locale, et me dirige vers mon destin de villégiature, en serrant les dents.
A la sortie, j’ai l’impression de me retrouver dans une antique salle de bourse où les opérateurs proposent des offres d’achats de titres en tous genres. Des hommes brandissent de petites pancartes, aux titres de tour-opérateurs, qui égrainent des listes de noms. Je scrute chacune d’elles. Quel est celui qui est là pour moi ? Aucun transfert de fonds à ce stade, juste un transfert vers mon hôtel. Je trouve finalement mon correspondant local qui me dirige vers un minibus. Il ouvre son coffre, y engouffre mes malles. Je m’installe dans le fond, sur la dernière rangée de sièges. Aucun autre passager, je suis la première pour l’instant, en état de veille, prête à dévisager les prochains entrants qui partageront avec moi ce trajet, ce lieu de vacances, plus peut-être…
Le panier à salade se remplit progressivement. Je ne suis plus tout à fait innocente. Dois-je me sentir coupable de dessiner mentalement le portrait-robot de celui dont je serai la victime, de le comparer avec cette brochette de suspects potentiels qui siègent là ? Pour l’instant, je fais chou blanc. Aucune ressemblance ! Les mis en examens sont au-dessus de tout soupçon : des couples de jeunes, de retraités, un groupe d’amies, une famille avec de jeunes enfants, et pour corser le tout un homme d’âge mûr, sosie parfait de mon mari !
Nous voici arrivés à destination, notre prison dorée, au bord d’une des grandes avenues de la ville nouvelle. Le minibus s’engouffre sous un porche et s’arrête, à côté d’une Porsche, devant le bâtiment d’accueil de l’hôtel. L’équipe d’animation nous y attend dans une ambiance festive et nous donne rendez-vous pour la réunion d’information et le pot d’accueil qui suivra. Juste le temps pour nous de nous enregistrer, verser la caution, récupérer la clef de notre chambre et s’y installer.
La réunion est animée par le directeur de l’hôtel qui présente ses différentes équipes (L’hôtellerie et l’entretien, la restauration, l’animation) et le fonctionnement global de l’établissement. Le responsable d’animation prend le relais pour détailler le programme de la semaine et ses différents intervenants.
Pour demain, je pense participer à l’aquagym, aux jeux apéritifs, à la visite guidée de la médina, et à la soirée « Danse orientale ».
Alors que je sirote mon verre offert, devant le buffet dressé pour le pot d’accueil, je suis abordée par un animateur chargé des activités sportives. Il est jeune et beau, bronzé, au sourire éclatant et à l’accent italien. Il me charme de suite et se dit heureux de me voir participer à la séance d’aquagym dès le lendemain matin. Je suis déjà toute émoustillée ! En observant les bulles qui remontent du fond de mon verre pour s’éclater à l’air libre, je m’imagine partager un jacuzzi avec Tony, mon bel italien.
Mes espoirs sont rapidement déçus lorsque, le suivant du regard, je constate qu’il déverse, avec succès, les mêmes artifices auprès du groupe de jeunes femmes. Il prend son temps, y met plus d’ardeur, d’implication. Le petit coq italien fait sa basse-cour. Il préfère la chaire douce et fraiche des jeunes volailles. Ira-t-il jusqu’à les plumer ?
Le sosie de mon mari s’avance vers moi, une assiette à la main, se présente, il se prénomme François. Il a déjà revêtu sa chemise à fleurs, son bermuda, ses chaussettes recouvertes des mocassins réglementaires. Il me propose : « des Samoussas de chèvre frais coriandre et citron confit, cela vous tente ? C’est local ! ». Je peux difficilement me dérober. J’observe le contenu du plateau. Des amuse-bouches feuilletés de forme triangulaire, comme les panneaux routiers signalant un danger imminent. Je murmure intérieurement : « C’est bon, mon vieux, j’ai des kilomètres au compteur, je ne vais pas retomber dans le panneau ! » Il me questionne sur mes choix d’activités du lendemain, et m’indique que si je participe à la visite guidée de la Médina, il sera heureux de vivre ce moment en ma compagnie. C’est décidé, pas de visite guidée demain ! J’irai découvrir la Médina en solo en prenant la navette proposée par l’hôtel.
Je passe la nuit avec François, qui hante mes songes dans des cauchemars nous mettant en scène dans un jacuzzi, grignotant des Samoussas, tout en battant des jambes au rythme cadencé par Tony, qui gesticule devant nous, entouré de ses poulettes, avant de me présenter un plateau de testicules entourés de boulettes ! N’importe quoi et vraiment traumatisant !
Je participe bien, ce matin, à la séance d’aquagym au milieu du harem de Tony, dans son bassin de pisciculture. J’ai l’impression qu’il ne m’a pas remarqué, ou même reconnu ? Je fais partie de son élevage intensif aux multiples espèces regroupées par familles : par lottes pour les bavardes. Les carpes souffrent en silence. Les dynamiques mettent le turbot. Les plus faibles prennent la perche tendue par Tony.
La perche tendue de Tony… Je ne peux m’empêcher de l’associer mentalement à l’image du plateau qu’il m’a proposé dans mon rêve…
Avant de m’affairer devant les buffets du déjeuner, je participe au jeu apéritif, pour gagner des tickets à échanger au bar contre une boisson. Aujourd’hui un jeu d’adresse. Je ne brille pas ! C’est volontaire, ce n’est pas encore le moment le montrer ou de donner mon adresse. J’attends de pouvoir échanger et d’avoir un ticket !
Dernière formalité avant de reprendre des forces, la danse du village qui termine le jeu apéritif et ponctue la journée. La musique est lancée. Je m’efforce de suivre les déhanchés de mes voisins. Il faut que j’apprenne vite la chorégraphie pour faire partie intégrante de ce banc de sardines qui suit le poisson pilote dans ses moindres mouvements, développant cette insouciance, cette dépendance collective, festive et égocentrée.
Me voici donc devant les multiples buffets, classés de manière thématique. Pour ce premier jour, je me concentre sur les produits de la pêche. Il me faut garder la ligne. Je regarde le bouchon de ma bouteille de vin, lancée à la mer, dans l’espoir de faire une prise, que l’on me trouve, sur ma petite table ronde, mon île déserte, qui flotte au milieu de la terrasse. Au dessert, une île flottante !
Je retourne à ma chambre, mon port d’attache, pour me reposer, me pomponner, me préparer à l’expédition, ma traversée en solitaire de la médina, ma médi-terre-année. J’ai peur de ramer, de me perdre, d’être désorientée, ou même attaquée par des pirates. Leur capitaine me ferait-il chavirer ?
La navette part à l'heure et me dépose au pied d'une des principales portes de la médina, Elle est monumentale, décorée de céramiques émaillées, bleues vers l'extérieur (couleur symbolique de la ville), vertes vers l'intérieur (couleur symbolique de l'islam). Je passe la porte et m'engouffre dans un autre monde, un autre temps. Un labyrinthe de centaines de petites ruelles étroites qui grouillent de vie, de couleurs, de parfums, de sons, d'activité, de passage. Les piétons croisent des charrettes tirées par des mulets, évitent de justesse de vieux cyclomoteurs pétaradant qui slaloment sur les pavés entre les échoppes.
Je ne retrouve pas les noms des ruelles. Parfois plusieurs d'entre elles portent le même. Mon plan est très incomplet. Même Google Map est complètement perdu. J'ai l'impression de me retrouver dans un Escape Games ! Où sont les indices ? Qui est le maître du jeu ?
Je suis plantée au milieu d'un petit carrefour, plongée dans mon plan pour trouver un repère, quand je suis abordée par un jeune homme qui me salut et me demande ma destination recherchée. Je lui dis vouloir visiter les tanneries de cuir. Il me dit "vous avez de la chance, cela tombe bien, j'y vais, j'y travaille, suivez-moi !" Et il redémarre, sans me laisser le temps de répondre ! Son pas est très dynamique, j'ai du mal à le suivre, il emprunte de nombreuses intersections, il vire à droite, à gauche, encore à gauche, je ne sais plus quel chemin nous avons pris... Le petit tanneur va finir par avoir ma peau ! Je n'ai plus le choix, il me faut le garder dans le viseur et le suivre. Il est mon application mobile, très mobile !
Il s'arrête enfin, se poste au bord d'une ruelle et m'attends. A-t-il senti sa proie captive, à sa merci ? Je le remercie. Il se présente, se prénomme Karim et me questionne sur ma ville d'origine, mon métier…. Il poursuit en me listant toutes les villes françaises qu'il a visité, où habitent certaines personnes de sa famille. Une conversation très conviviale s'instaure, il est très souriant, amical. Nous continuons à déambuler lentement. Je m'inquiète de le mettre en retard à son travail. Il me rassure : "Pas de problème, on est presque arrivés".
En effet, nous nous arrêtons face à un vieux porche entre deux bâtiments artisanaux. Il devise en arabe avec les hommes postés-là qui nous proposent une boisson à la menthe. Karim m'explique que c'est pour masquer un peu l'odeur qui pourrait agresser mes sinus fragiles. Nous visitons cette tannerie à ciel ouvert, l'odeur est en effet pestilentielle, et montons sur une terrasse panoramique d'où nous pouvons admirer la palette de couleurs proposée par toutes ces bassines rondes de teinture. J'ai l'impression de revoir les palettes de gouaches utilisées par mes enfants à la maternelle, il y a si longtemps.
La visite se termine, Karim propose de poursuivre en me faisant découvrir la Medersa, l’ancienne école coranique. Je ne sais pas s’il travaille vraiment à la tannerie, mais ai-je l’envie de le savoir ?
Je suis au milieu de la grande cour intérieure très décorée de la Medersa, près de la fontaine, prête à me jeter à l’eau, avec ce jeune homme, Karim. A quoi ça rime ? Peu importe, je vis cet instant. Je l’accompagne à l’étage, dans les coursives qui mènent aux chambres des étudiants. Tout y est étroit, exigu, propice aux frôlements, à la promiscuité épidermique. Je l’étudie. Je le regarde déambuler devant moi. Lorsqu’il s’arrête à mes côtés, des bouffées de chaleur m’envahissent. Je me sens redevenir cette étudiante insouciante, en cité universitaire, guidée par ses pulsions hormonales.
Nous sortons de ce lieu de silence, de réflexion, de méditation, pour être happés par le foisonnement sonore de la médina, son bouillon d’activité. Vais-je m’y fondre comme un cube Maggie pour me présenter en « poule au pot », faire apprécier le goût de sa viande blanche, ses légumes ? La magie va-t-elle opérer ?
Je continue à cuire à feu doux, en me promenant à ses côtés. Nous traversons le marché très coloré et parfumé des produits frais, des épices, des légumes, des volailles. Quelques poules gloussent et caquettent à mon passage, derrière le grillage de leur cage. Se reconnaissent-elles en moi ? Echangent-elles quelques commérages sur moi, la petite française bien accompagnée ? Lorsqu’elles lèvent la patte, est-ce pour entamer un french cancan ?
L’une d’elle est choisie par un passant, peut-être la plus désirable, celle qui a les formes les plus avantageuses, les plumes les plus jolies, les plus soyeuses ? Le vendeur de l’échoppe ouvre la cage, la saisie violemment par le cou ! D’un coup de poignet sec, il lui brise la nuque, se tourne vers La Mecque et l’égorge !
Mon sang se glace dans cette atmosphère caniculaire ! Mes yeux restent figés.
Je ne veux pas la voir commencer à se faire plumer. Ma main se porte inconsciemment à mon cou. Je continue à avancer, en imaginant avec effroi le moment où Karim pourrait passer sa main autour de mon cou et m’appeler « ma poule » !
Il est temps pour moi de rentrer à l’hôtel, pour le diner et la soirée danse orientale. Karim m’accompagne à la navette puis à mon hôtel sans vraiment que je l’y invite, sans vraiment que je l’en dissuade. Nous arrivons juste à l’heure pour le second service. Je règle à l’accueil le montant du repas pour mon invité, sous le regard curieux de Tony qui converse avec l’hôtesse d’accueil.
Le diner est servi à table, à la terrasse, au bord de la piscine, sous ce ciel étoilé. Menu typique local ce soir, le tajine. Jusqu’alors, je me sentais invisible à ma table. Là, je me sens, nous sens observés. Le centre d’intérêt des conversations de concierges autour de ce diner aux chandelles. François vient même dévisager Karim en passant me saluer et me raconter sa visite guidée de la médina.
Karim lance ses appâts pour m’attirer dans ses filets. Il fait son numéro de charme, pour tenter la cagnotte. Sa lotte rit. Je me laisse séduire par le beau matelot. Moi aussi, suis joueuse.
Nous vivons le spectacle de danse orientale, l’un contre l’autre. Le rythme chaloupé de la danse du ventre pourrait m’occasionner un mal de mère. Rien de tout cela ! Même mes angoisses des voyages aériens disparaissent au moment de m’envoyer en l’air, derrière les hublots de ma chambre.
Mon jeune coq et moi, sa poule du moment, partageons une croisière nocturne dans la coque de notre bateau ivre.
Au petit déjeuner, nous prenons des œufs, lui à la coque, moi, cocotte.
La vision de Karim, scalpant, de son propre couteau très aiguisé, la tête de l’œuf, pour en déguster le contenu, me perturbe, crée le malaise chez moi. Je repense à la scène d’exécution sur le marché. Il crâne avec sa lame, mais je n’ai pas l’âme d’une poule martyre !
Nous repartons ensemble pour une journée dans les souks de la médina. Ils sont regroupés par types de produits : les souks des tanneurs et teinturiers, des menuisiers avec leurs meubles et objets en bois de cèdre, des tapis, des babouches, des épices et parfums, des produits cosmétiques et pharmaceutiques….
Karim me guide dans les dédalles des échoppes, vers celle de son cousin. J’y choisis quelques foulards dont il négocie le prix pour moi, enfin je crois. Le vendeur me recommande ensuite les produits cosmétiques de son frère, avec un prix spécial pour moi. « C’est à quelques pas » : dit-il. Il me tend la carte de visite pour obtenir un accueil privilégié, puis voyant mon interrogation quant au chemin à suivre, décide de nous y amener. Les « quelques pas » prennent finalement de longues minutes, la proximité n’est pas si évidente. Nous arrivons enfin, entrons dans un bâtiment assez grand, passons devant un groupe d’une excursion qui attend son tour pour l’exposé d’accueil avec la présentation des bienfaits des produits, les démonstrations, avant de passer au magasin. Le vendeur de l’échoppe nous laisse là. Nous le remercions et sommes rapidement pris en charge par un conseiller en blouse blanche qui nous emmène directement au comptoir du magasin. Je lui donne la carte de visite. Karim se met en retrait et s’installe sur un des fauteuils placés au milieu de la pièce. Les étagères des murs regorgent de produits en tous genres. Le conseiller s’informe de mes besoins, des types de produits que j’utilise, avant de me présenter ses produits « miracles », à base de plantes, issus de traditions millénaires, fabriqués sur place et nulle part ailleurs. Il me développe une longue argumentation, me fait essayer quelques produits. Je choisis des compléments alimentaires au Curcuma, du henné enrichi aux plantes, des crème hydratantes anti-rides aux figues de barbarie, un shampoing à la feuille de cannabis, un masque capillaire à l’huile d’argan.
Ça y est, j’ai effectué mes emplettes « beauté, jeunesse et santé ». Je réveille Karim qui s’est assoupi, complètement avachi au fond du fauteuil. Il se redresse brusquement, reprends ses esprits, un peu gêné, puis m’invite à le suivre pour sortir du magasin, après avoir échangé quelques mots avec le conseiller.
Nous décidons de nous arrêter à une terrasse d’un bar local aux abords d’une place, pour nous désaltérer. Nous nous installons. Karim passe quelques coups de téléphone. Nous sirotons notre collation en observant le passage d’un mélange de populations indigènes et touristiques. Karim, pour se donner une contenance, et combler les vides de notre conversation, apostrophe tous les passants de sa connaissance et éclate de rire bruyamment à chacune de leurs réponses.
Un de ses amis, qui passe là par hasard, nous rejoint, s’installe à notre table à l’invitation de Karim. Ils échangent quelques mots en arabe puis une conversation en français débute. Karim pose tendrement sa main sur la mienne. Ils évoquent des expériences et témoignages de mariages entre marocains et françaises. « C’est plus facile, rapide et courant que l’on ne pourrait le croire », semble-t-il. « De plus, le marché immobilier local est très favorable aux européens dont le taux de change est très intéressant. Il existe de belles affaires de riads à restaurer au sein de la médina et les artisans locaux sont à la fois compétents et bon marché ». Je les écoute d’une manière à la fois distraite et naïve. Oui, j’ai quelques talents d’actrice. J’ai fait du théâtre dans ma jeunesse aux « Tréteaux de Versailles ».
Karim semble déçu de mon faible investissement dans la conversation. Son ami finit par repartir vaquer à ses occupations. Je reprends la carte du bar, pour rebattre les cartes de notre jeu et nous commander des plats pour déjeuner : Du « Zaalouk » pour moi, c’est du caviar d’aubergine à la marocaine. Karim choisit des « Maâkouda », ce sont des galettes de pommes de terre qu’il accompagne d’un tajine de boulettes de sardines. Il se demande d’ailleurs s’il n’a pas commis trop de boulettes pendant cette conversation. C’est à moi de les digérer en dégustant mon caviar.
Nous poursuivons ensuite mon shopping dans les galeries commerciales de cette fourmilière. Je m’imagine citadine maghrébine qui chine et butine dans les souks d’Attarine, de Nejjarine, de Sebbaghine de Seffarine ou de Serrajine. J’achète des souvenirs pour mes amis, mes enfants : des babouches, des djellabas, des ceintures, des épices, des bijoux, de petits objets de décoration de bois de cèdre…. Karim est chargé comme un mulet. Maintenant j’ai pris confiance, je négocie moi-même les prix. J’y prends gout. Les vendeurs des échoppes, mes partenaires de jeu, sont très aguerris mais semblent prendre plaisir à ce badinage commercial.
La suite de la semaine se poursuit pour nous entre l’hôtel dont nous profitons des activités, des animations, des spectacles, des infrastructures comme bien sûr la piscine, et les visites culturelles. Karim s’implique dans son rôle de guide très personnel. Il me fait visiter les Fondouks, ces édifices à étages qui abritent les ateliers des artisans, le Palais royal, les musées. Il m’amène aux portes des mausolées des figures sacrées, des mosquées, que je n’ai pas le droit de franchir. Il nous organise une séance dans un hammam traditionnel.
L’équipe de l’hôtel, ses clients, se sont finalement habitués à notre couple. Nous nous fondons dans le paysage artificiel de cet établissement. Une décoration voyante, des touches de traditions dans la modernité, une végétation luxuriante arrosée abondamment au milieu d’un environnement rocailleux et aride.
Et c’est le moment de mon départ, les malles semblent sur le point d’accoucher, tellement leur embonpoint est évident. Leur peau présente des vergetures, signe de tiraillement de l’épiderme à cause de la prise de poids. Elles ont d’ailleurs fait un petit : un sac de voyage en cuir, acheté chez un artisan local et adopté. Il permet de caser tous les souvenirs à emporter.
Les animateurs nous font une haie d’honneur sur le chemin qui nous mène à la navette pour l’aéroport. Karim m’y accompagne. Tony engage sa troupe dans la danse du village et m’envoie un clin d’œil. François n’est pas là, il a réservé une semaine supplémentaire.
Le moment de la séparation est toujours douloureux. Karim m’enlace. J’en profite pour glisser dans la poche de son veston une enveloppe contenant une petite lettre de remerciement et des coupures de dirhams. Nous avons déjà échangé des messages, des communications téléphoniques. Karim m’a déjà demandé mon adresse. Nous nous promettons de rester en contact pour des moments futurs à partager, ici ou ailleurs.
Me voici engagé dans les formalités d’enregistrement des bagages, d’embarquement. Les temps d’attente sont assez longs. J’en profite pour modifier l’adresse sur l’étiquette de bagage. J’y indique la vraie et change la carte SIM de mon téléphone portable. Ce qui ne m’empêche pas de regarder mes photos avec essentiellement Karim. Mais Tony et François y apparaissent aussi. Ceux qui ont partagé ou hanté mes nuits !
Mes souvenirs,
De voyage…
Avec mes mâles de voyage !
Se remémorer, regarder ses photos, les montrer, les partager, les commenter, c’est aussi repartir ! Se souvenir, c’est encore voyager !
Ce carnet de voyage est donc mon catalogue de vacances, ma brochure à souvenirs avec mes mots à aligner, mes maux à atténuer, mes malles à vider, mes mâles à collectionner.
Si j’osais, je mettrais en couverture du carnet, ma photo préférée : Prise dans la chambre, pas encore habillés mais la fenêtre et les volets déjà grands ouverts. Cadrage sur les fesses de Karim, avec en arrière-plan, une vue de différentes parties de la médina de Fès. Belle évocation de la manière de s’occuper de ses Fesses !
Et repartir …
En voyage !
Laurent PODRAZA
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