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Photo du rédacteurLaurent

Le Bleu

Dimanche 29 mars, 9h15, Romain se lève doucement et entrouvre délicatement les volets de leur chambre :


« Super chérie ! Il fait beau ce matin. Regarde ce ciel d’azur. Cela me rappelle nos vacances, nos voyages, nos horizons lointains…. Te souviens-tu de l’ile de Santorin au milieu de la Méditerranée, de Bora Bora, la perle du Pacifique, des jardins de Majorelle à Marrakech, du village perché de Chefchaouen, des champs de lavande dans le Lubéron… Nos jours heureux.


Toute une invitation à la découverte, au rêve, au calme, à la contemplation, la sérénité, la profondeur, la méditation…


Et même nos nuits ! Te souviens-tu de notre incursion dans l’univers de Michou, dans son cabaret de Montmartre ? La joie, l’insouciance… »


« L’enfance aussi ». Une réminiscence des nuances qui teintaient ses vêtements, ses jouets, le papier peint, le linge de lit de sa première chambre, apparaissent à ses yeux, dans un voyage spatiotemporel, en état d’auto hypnose, un peu dans les nuages…


« Le bon temps ! Voir la vie en bleu ! C’est d’ailleurs tout à fait logique, un retour aux sources de notre existence sur la planète bleue.»


Marie se retourne brusquement dans le lit, éblouie par la lumière, elle est encore dans le coton nuageux de sa nuit. Sa vue est encore embrumée, son regard est voilé. Elle supporte mal ces giboulées de mars, cette pluie de mots qui s’abattent sur elle, qui habite encore d’autres cieux, ceux de la planète rouge, la colère prête à éclater en foudre !


« Ferme vite ces volets, j’ai mal aux yeux !

Ca y est ! T’as gagné maintenant, je suis réveillée ! Merci pour cette belle grasse matinée ! Mon seul jour de congés de la semaine ! »


Agacée, Marie imite romain : « Super chérie, il fait beau ce matin… », et poursuit : «tu parles, n’importe quoi !

Supercherie ! Tu veux savoir ce que c’est, ta vie en bleu ? Ce n’est qu’apparence, illusion d’optique, couleur accidentelle, qui ne dépend que des spectres…. Ca te parle les spectres ? C’est joyeux les spectres ? »


Romain pense aux films d’épouvante, à ces morts vivants, dont il prend progressivement l’apparence, tellement il a pâli sous la tempête tropicale Marie. Il ne peut se sauver ou simplement sortir, et tente d’éviter la forte dépression en gonflant son anticyclone des Açores. Il courbe le dos et entend, plus qu’il n’écoute :


« Ton bleu n’est que la couleur blanche de la lumière du soleil filtrée par les éléments qu’elle traverse, l’atmosphère, l’eau.

L’air que tu respires est bleu ? L’eau dans ton verre est bleue ?

T’as déjà vu un arc en ciel ? Tu crois que c’est magique, cet éventail de couleurs ? Tu crois que c’est une déesse qui brasse un peu d’air pour se rafraichir ?

C’est juste la décomposition de la couleur blanche, le spectre de la lumière du soleil !

Et pourquoi le soir, à la tombée de la nuit, le ciel devient rouge, orange, rose ?

C’est pour plaire aux filles ? Pour qu’elles se rappellent de leur tenue de princesse, de leurs poupées et dinettes, de leur chambre ?

C’est juste que les rayons du soleil du soir ou du petit matin sont plus obliques, moins verticaux, et traversent donc une couche plus importante d’atmosphère ! La lumière est donc plus filtrée, une autre couleur apparait !


Va demander aux australiennes dont l’atmosphère a été pollué pendant des mois par de gigantesques incendies, si elles appréciaient ce ciel rose en plein jour ! Tu crois qu’elles respiraient la joie de vivre, qu’elles aimaient voir la vie en rose ? »


Marie se tait enfin, Romain est toujours immobile, assis sur le lit, tournant le dos à sa « chérie ». Il n’a rien compris à cette averse de grêles dialectiques. Mais qu’importe, il pense être ponctuellement au calme, dans l’œil du cyclone.


« Veux tu un petit déjeuner au lit ma chérie ? » Sans attendre la réponse, espérant une météo plus clémente, il met le cap vers la cuisine, prépare un plateau sur lequel il dispose les victuailles préférées de Marie pour commencer la journée, un café avec un nuage de lait, du pain et du fromage, aujourd’hui du bleu d’Auvergne !


L’atmosphère se calma, tout est revenu au beau fixe.


Marie a connu de fortes dépressions. Elle travaille dans l’armée de l’air, au service météo de la tour de contrôle d’un aéroport militaire. Elle maîtrise donc les sciences liées à la climatologie. Dans ce domaine, Romain restera un Bleu !


Laurent PODRAZA

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H²O

1 Comment


julaut
May 01, 2020

Ah là là, cette désynchronisation des sentiments ! Cette façon de rationaliser la beauté et la poésie qui nous entourent, de vouloir résoudre tout mystère... Je trouve que tu touches très juste avec cette "pastille littéraire", et je la trouve triste.

Qu'est ce que ça fait de manipuler les émotions d'un lecteur, juste avec des mots ?

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