Depuis toujours, je campe sur mon territoire douillet, mon champ de velours, mon canapé.
J’en suis devenu propriétaire après une longue campagne d’occupation continue, illégale d’après mes parents. Mais ils se trompent ! C’est la loi ! 10 ans d’occupation ininterrompue d’un bien meuble en confèrent la jouissance pleine et entière. Les éléments de preuve sont nombreux : Les témoignages des amis de passage, mes traces d’ADN, mes restes de repas fossilisés… S’il y avait eu un procès, j’étais sûr de gagner. Mes parents ont capitulé. Ils ont retiré leur plainte.
Ma vie s’organise sur mon territoire, à l’affut du moindre passage du voisinage familial, du chien de la famille, pour quémander un morceau de pain, un trajet vers le réfrigérateur pour me ramener un soda, un coup de main pour me tendre la télécommande…
Je dois aussi veiller à bouger quelque peu, d’un coté à l’autre du canapé, d’un coussin à l’autre, pour m’aérer, prendre l’air et ainsi éviter les escarres. Tout un métier ! 10 ans d’expérience.
Mais un jour d’automne, je vois apparaitre sous l’épiderme de mon postérieur, quelques traces végétales extérieures à mon champ corporel. Elles prennent place là et se développent rapidement. Certains parleraient de parasites, je dirais plus des végétaux de compagnie, des tubercules se transformant en champignons. Le terroir semble favorable à leur développement harmonieux. Les épandages sont fréquents, toujours de l’engrais naturel, 100% bio, du recyclage, du circuit court. J’y tiens, je pense à ma nature !
Et leur production augmente de manière spectaculaire, jusqu’à envisager d’en faire un usage industriel. Mais avant tout, il faut tester la marchandise, en vérifier la comestibilité d’abord sur le chien de la famille, puis sur la grand-mère. Non seulement le test est concluant, mais en plus ils en redemandent. Le marché est là, captif, demandeur.
Je commence donc la commercialisation de ma production à domicile. Le « bouche à oreilles », « l’oreilles à bouches » fonctionnent. Le succès est là ! Je fais patienter ma clientèle dans le petit salon, je leur offre des canapés. J’envisage d’engager une procédure de demande d’ « appellation d’origine contrôlée ».
Je ne fournis plus assez. Il me faut embaucher, préparer les prochaines terres fertiles. La matière première est rare, pas facile de trouver des textiles d’ameublement suffisamment décomposés. Pas facile de trouver du personnel qualifié, impliqué, motivé par la tâche !
La flemme, cela se travaille !
Laurent Podraza
Comments