« Il m’a appelé « Koudryavka », cela signifie " petites boucles".
Lui, ils l’appellent « Oleg ».
J’étais perdue, au milieu de la cité, en errance autour de la grande place, quêtant toute trace de chaleur. Même anesthésiée par mon hypothermie, j’ai pu sentir ses bras m’emporter et me réanimer au creux du fourrage de son manteau.
Il m’a choisi, me nourrit, me caresse, me promène. Je lui dois tout !
Ce que je préfère, c’est lorsqu’il m’emmène courir sur les steppes gelées et on joue. Il met sa tenue kaki de camouflage pour se fondre dans l’environnement naturel. Il me lance un caillou, très loin, qui ricoche, rebondit, glisse sur la peau givrée des pâturages en hibernation. Je dois rattraper, retrouver ce caillou, le bon. Facile à trouver, il porte son odeur, ce parfum chaud, viril, d’un foyer de braises d’écorces de pin qui crépitent. Je le reconnaitrais parmi des milliers !
Ensuite, une fois l’objet de convoitise retrouvé, je le glisse sous ma langue, entre mes dents, bondis en direction d’Oleg et galope à toutes foulées vers mon bienfaiteur. Il se cache, cela l’amuse. Ne lui dites pas que cela ne sert à rien, je sens l’aura de son parfum à des kilomètres à la ronde. Il serait déçu !
Je dépose à ses pieds ce boomerang minéral, quémande quelques caresses et friandises et me poste accroupi, dans les starting-blocks à l’affut du prochain top-départ !
La séance sportive terminée, il me ramène dans ma niche. Je ne sais pas si c’est le contraste avec les grands espaces de mes terrains d’entrainement au climat sibérien, mais j’ai l’impression qu’elle devient de plus en plus petite, de plus en plus caniculaire!
Parfois, peut-être lorsque mes boucles blanches sont souillées par la boue des steppes, il me place dans le tambour d’une machine à laver avant de lancer un programme dans un vacarme assourdissant ! J’en sors lessivée !
Un matin, plus tôt que d’habitude, à l’aube.
Le reflet de la pleine lune sur le lac gelé envoie un faisceau lumineux, telle une lampe de poche céleste, vers un véhicule tout terrain. Oleg m’y embarque, prend le poste de pilotage et démarre. Peut-être a-t-il trouvé une nouvelle piste, un nouveau terrain de jeu, à me faire découvrir, pour jouer, courir, m’entrainer…
A la sortie du véhicule, il me présente à ses collègues. Je ne les connais pas, mais je reste placide et attentive. Ils semblent amicaux avec Oleg, avec moi aussi. Je reste dans ses pas, comme il me l’a appris.
Tiens aujourd’hui, il m’enfile des habits ? Bizarre, même sur les lacs gelés, je n’en ai jamais porté. Le plus déstabilisant a été de porter ce casque, de voir à travers une visière ! Mais comment vais-je faire pour sentir l’odeur des cailloux, les attraper pour les ramener et ensuite me délecter de mes récompenses gourmandes ? Mais c’est Oleg qui m’habille ainsi, je lui fais confiance.
Il me montre, la main tendue, le doigt pointé, la direction du prochain lancé, comme il le fait d’habitude. Cette fois ci, cela semble plus loin, la direction est presque verticale, vers le ciel étoilé.
Il m’enferme ensuite dans une niche qui ressemble à la mienne, tout aussi exigüe. Je suis seule, je dois certainement attendre là, le moment où Oleg sera disponible pour jouer avec moi.
Je me suis légèrement assoupie lorsque j’ai été réveillée par cette explosion ! Où est Oleg ? Est-il en danger ?
Je me retrouve plaquée au sol de ma niche. Je vois par la fenêtre ronde la terre se dérober ! Que ce caillou doit être distant pour qu’Oleg m’envoie si loin !
Enfin, cela se calme, mais je ne sens plus rien, je n’entends plus rien, il fait de plus en plus chaud ! Je vois juste ces lumières, ces étoiles, qui devraient être suffisantes pour repérer le caillou …. Mais comment le rapporter ? »
Communiqué : AGENCE FRANCE PRESSE
Plus de 70 ans après l’expérience « Koudryavka », que l’on a appelé par la suite « Laîka », du premier être vivant en orbite dans l’espace autour de la terre, après un conditionnement et un entrainement spécifiques, l’agence spatiale russe était sur le point d’envoyer un éventail d’espèces animales et végétales pour tester leur adaptation à la vie en station spatiale, et permettre le développement d’un vie continue et pérenne en complète autonomie.
Le tableau de contrôle du lanceur égrenait le compte à rebours du top départ lorsqu’il a été touché par un objet venant du ciel, transperçant un réservoir, qui a explosé. Vladimir Poutine, en conférence de presse, a suspecté l’association de la NASA et de la NSA d’avoir commis cet attentat !
C'est très improbable, mais après les premières analyses, il semble que l’objet incriminé soit un caillou venant de l’espace. Une météorite de la taille d’un pouce avec la forme du museau d’un chien. Un pied de nez au destin ?
Un caillou dans la chaussure de Vladimir ! Une bottine à la fourrure blanche à petites boucles.
Laurent Podraza
Toujours impressionné par ton imaginaire et par la diversité des thématiques que tu abordes. Après Trump et Poutine j'attends avec curiosité....Peut être Xi Jinping ? Compte tenu de ton éclectisme on verra bien. A n'en pas douter ce sera un régal....