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Photo du rédacteurLaurent

Notre Marianne (10)


EPISODE 10 : GUERRE (République)

En contrebas de la rue principale

de Bruay, celle de la République,

on pouvait trouver l’adresse postale

de Marianne, Wladislaw et toute leur clique.


En marge du conflit armé, de la guerre,

ils ont, eux aussi, eu à subir des pertes.

L’accouchement vécu comme naguère

laissait parfois de petits corps inertes.


Le prénom de la petite Monique,

oublié sur le carnet de famille,

avec la mention « mort née », laconique,

ne sera jamais une absence qui brille.


Est-ce ainsi que du destin on s’évade ?

Marianne cacha ses larmes sous le parapluie.

Wladislaw, en signe de la couvade,

enterrera aussi une partie de lui.


Il fut la victime d’un éboulement,

au fond d’une galerie de la mine,

laissant en offrande, sous les sédiments,

l’extrémité de sa jambe chagrine.


La caisse de secours des houillères du Nord

lui finança une nouvelle jambe,

dans la générosité qui l’honore.

Pas question tout de même qu’elle flambe.


Il s’agissait de maintenir dans le fond

les mineurs et l’ensemble de leurs membres,

pour continuer à rester dans ses fonds,

toute l’année, de janvier à décembre.


Wladislaw, après ses soirées de cuite,

riait de n’avoir pas que la gueule de bois.

Double handicap pour toute conduite.

Il savait : « Sur la route, jamais on ne boit ».


Son bout de jambe perdue, étonnante,

se rappelait parfois à ses souvenirs,

par des accès de douleurs lancinantes.

Comment calmer un fantôme, le faire fuir ?


N’était-ce pas Monique, ou son esprit,

revenant jouer, titiller son papa,

s’assoir sur ses genoux ? Aurait-il compris ?

Elle sera son enfant après le trépas.


Le dimanche ou certains soirs de semaine,

Wladislaw invitait parfois ses copains

pour jouer aux cartes, en plusieurs maines,

espérant la magie de perlimpinpin.


La règle officieusement admise

était de faire gagner le nécessiteux,

en adaptant le montant de ses mises,

même si cela pouvait être coûteux.


Marianne n’appréciait guère ce manège,

gérant son budget avec difficulté.

Par tout temps, même de pluie ou de neige,

sa dépense d’énergie n’était pas comptée.


Pour nourrir et entretenir sa famille,

contourner les tickets de rationnement,

Elle disait : « Jamais rien je ne gaspille ! »,

récoltait ses productions également.


Un potager pour les pommes de terre,

les différents légumes pour les soupes,

et dans le local juste en face des waters,

les protéines pour toute sa troupe.


Tout le nécessaire pour se ravitailler :

rendez-vous devant le clapier à lapins

ou récolte des œufs dans le poulailler.

Il ne manquait que le beurre et le pain !


Pour les obtenir, ne restait que le troc,

malgré les interdictions du marché noir.

Marianne s’habillait donc de son seul froc,

qui croupissait, au chaud, dans son armoire.


Il était d’évidence plus pratique

pour pouvoir enfourcher sa bicyclette.

Marianne démarrait, comme ses pneumatiques,

gonflée à bloc, pour faire ses emplettes.


Elle n’hésitait pas à faire son marché,

même jusque dans les faubourgs de Lilles.

Il lui fallait pédaler et cravacher,

sans casser les œufs de ses volatiles.


Les échanger contre du beurre fermier

était son unique objectif, sa mission,

en évitant le contrôle des fumiers

qui pouvaient la menacer de punitions.


Sur la route du retour, elle se trouva

face à un barrage de la police

qui arrêta la course de la diva

pour la confier aux ordres de la milice.


Ils lui enlevèrent toute sa cargaison,

une occasion pour eux de faire leur beurre,

et l’emmenèrent dans une des prisons

prévues pour les trafiquants et les voleurs.


A son arrivée, elle fut encore fouillée.

Sa montre lui fut confisquée, plus d’heure !

De son seul bien précieux, elle fut dépouillée,

mais, sous le manteau, lui restait du beurre !


Wladislaw et les enfants purent la voir,

dans cette ancienne école réaménagée,

avec ses couloirs, ses dortoirs sans parloirs,

et tous ses détenus plus ou moins âgés.


Marianne pleurait, avec des cris si perchés,

que son gardien se laissa facilement

graisser la patte par la motte cachée,

pour la relâcher avec soulagement.


Point de passage des convois militaires,

la rue de la République voyait passer

les restes des régiments d’armée de terre,

de la Werhmart en déroute, dépassée.


De la fenêtre de sa chambre, à l’étage,

le petit Marian observait les desseins

de petits amateurs en sabotage,

agressant les colonnes de fantassins.


Ayant vidé les chargeurs de leur fusil

sur les troupes allemandes en repli,

ils s’étaient réfugiés dans un lieu cosy :

Un local enterré pour qu’on les oublie.


Les Allemands, quoiqu’un peu envahissants,

avec un certain sens de la courtoisie,

ne pouvaient partir sans laisser un présent

à ces hôtes de passage, antinazis.


Leur abri d’infortune était accueillant,

même s’il pêchait par son étroitesse,

pour la visite de grenades d’assaillants,

entrant dégoupillée par politesse.


D’autres résistants de la dernière heure,

par inexpérience et maladresse,

avaient décidé de connaitre des heurs

avec un escadron de Waffen SS.


Ils ont été poursuivis dans la cité.

Les maisons et jardins furent tous fouillés

par les militaires qui n’ont pas hésité

à tirer sur les gens, qui ont dérouillé.


En forçant la porte d’une des maisons

ils découvrirent une mère de famille

à son travail de couture de saison.

Est-ce une raison pour qu’ils la fusillent ?


Elle fut pourtant abattue sans sommation,

encore derrière sa machine à couture,

sans avoir pu terminer sa création :

un drapeau tricolore de belle facture.


Ce n’est pas sans un sentiment de revanche,

que les polonais du Nord ont regardé

défiler en rangées depuis la Manche,

les prisonniers issus des fronts, bien gardés.


D’abord les Russes venant du front de l’EST.

Enfin les Allemands que l’on rapatrie.

Les uns comme les autres, ils les détestent,

envahisseurs historiques de leur patrie.



Laurent PODRAZA



Episode 11 : "APRES-GUERRE", prochainement !


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57 vues1 commentaire

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1 comentário


julaut
24 de jun. de 2021

On s'y croirait. C'est comme si tu avais été témoin de tout cela. Merci, Laurent.

Mémé racontait qu'en 1940, les soldats prisonniers défilaient sur la rue de la République, un convoi qui n'en finissait pas. Comme de nombreuses voisines, Mémé s'était approchée, pour donner quelques denrées à manger aux malheureux. Elle tenait Marysz dans ses bras, et l'un des prisonniers, un Noir, a déposé une pièce dans la petite main de ton père, et ton père, tout étonné, regardait sa propre main, comme si elle avait pu être tachée... de noir.

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